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avenir de l'université - Paris 8 dans le débat
19 novembre 2007

L’autonomie pour les riches, la pénurie pour les autres

Contribution envoyée à Libération :

En réponse aux 7 présidents d'Univerité
L’autonomie pour les riches, la pénurie pour les autres

Le débat actuel reposé par le mouvement étudiant semble tourner autour de la question de l'autonomie des Universités. Or il s'agit bel et bien de l'inverse. Retournement sémantique, à l'image de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont si brillamment décrypté ^1 <#sdfootnote1sym>

En effet, derrière le mot autonomie brandi par Valérie Pécresse, à la suite des ministres socialistes, et à leur traîne la conférence des Présidents d'Université à l'encontre même des instances qu'ils sont censés représenter, il s'agit d'amplifier l'orchestration de la différenciation entre universités que doit permettre la mise en concurrence. Car l'objectif est clairement énoncé : que chaque université fasse valoir sa différence, qu'au nom de celle-ci elle postule au marché des financements, et que les meilleures gagnent. L'autonomie il en sera question certes, pour les « meilleures » d'entre elles. Haro pour les autres, condamnées à s'enliser dans la gestion de la pénurie dont elles seront elles-mêmes responsables puisqu'elles n'auront pas fait la preuve qu'elles sont les meilleures.

Vilain jeu de mots donc que ce terme d'autonomie, cheval de Troie de la concurrentialisation des universités.

Cette mise en concurrence au sein de l'enseignement supérieur n'est pas nouvelle. L'une des caractéristiques de l'enseignement supérieur en France est bien son éclatement. Dès Napoléon pourrait-on dire avec la lignée réservée que sont les grandes écoles. Dès le départ, la discrimination positive, la vraie (sic) – donner le plus à ceux qui ont le plus- est en marche. Depuis les années 1980, ce processus s'est accéléré. D'une part avec le développement d'un secteur directement et explicitement marchand, celui des écoles privées. D'autre part avec le développement des filières dites sélectives – entendez sélectives à l'entrée – comme les BTS et les IUT, dans le cadre du secteur public2 <#sdfootnote2sym> pourrait-on dire Aujourd'hui, il reste à peine un bachelier sur deux pour se diriger vers l'université, quitte à y revenir par la suite après avoir obtenu un premier diplôme de l'enseignement supérieur. Mais avec un effet pervers accentué : le secteur de l'enseignement supérieur qui consacre le budget par étudiant le plus faible est celui qui accueille pour une bonne part les étudiants les moins bien préparés à l'Université.

Les effets d'une telle situation sont dès lors terribles sur les premiers cycles. Le taux de réussite s'en trouve fort affecté. Comment s'en étonner ? En donnant le moins à ceux qui ont le moins, le résultat est moindre. Il n'ya guère besoin d'avoir suivi un cursus d'école commerciale à la Bolloré comme notre ministre pour subodorer un tel résultat.
Encore faut-il dire que le résultat est moins pire- si l'on ose dire – que celui qui devrait être grâce au dévouement de bon nombre d'enseignants qui ont conservé cet idéalisme archaïque qu'est le libre accès au savoir.

Mais ne nous cachons pas la réalité. Le statu quo est impossible.
D'autant moins possible qu'à la mise en concurrence déjà évoquée, il faut ajouter celle qui s'est instituée entre universités elles-mêmes, à partir de facteurs différents mais se combinant souvent : environnement socio-économique plus ou moins favorable, nature des disciplines enseignées, appui plus ou moins prononcé du ministère, etc

La situation pourrait être moins catastrophique du point de vue de la recherche dans la mesure où l'université, en lien avec le CNRS est fort peu concurrencée. Pourrait si l'assèchement n'était pas là. D'autant plus que cet assèchement général, au vu des besoins, reste fortement différencié selon les secteurs scientifiques, au vu d'une visée à échéances rapides en terme d'application (« le retour sur investissement » doit être rapide) sensiblement discriminante. Conception utilitariste fort bien incarnée par notre grand Président dès lors qu'il s'est exprimé sur l'intérêt de tel ou tel champ disciplinaire.

C'est dans ce contexte qu'il faut resituer la loi dite LRU. Non pas comme constituant une surprise, mais comme s'inscrivant dans un long processus d'abandon des logiques de service public pour l'enseignement supérieur. Car face au constat évoqué ci-dessus, l'une des questions posées par la LOI est de savoir si elle est de nature à régler les carences manifestes et orchestrées de l'université ou au contraire à les accentuer.

Au même titre que la réforme dite » LMD (licence, master, doctorats) a été faite au nom des 10 % des étudiants les mieux lotis (ceux en mobilité internationale valorisante – pas ceux venant d'Afrique mais ceux d'Europe circulant en Europe), la LRU est faite pour les 10 % des universités les mieux placées en terme de concurrence. Avec la LRU, celles-ci seront en effet libérées de la contrainte des financements publics pour avoir le droit, encore un peu plus, de s'ouvrir largement aux capitaux privés pour financer leur développement. A financement privés doit correspondre une gouvernance entrepreneuriale (limitation des instances consultatives, « liberté » de recrutement contractuel, extinction d'éventuels lieux de contre-pouvoirs, évaluations sur indicateurs sur mesure, etc)

Mais pour les autres ? Osons imaginer le cas d'une Université en Sciences sociales et humaines, dans un environnement socio-économique défavorable (taux de chômage élevé, emploi qualifié sous représenté, démographie scolaire marqué par le baccalauréat technologique et professionnel, etc), assumant éventuellement des positions politiquement incorrectes quant à la nécessité de la démocratisation de l'enseignement supérieur. ..Force est de constater que la LRU, bien loin de réduire les inégalités entre universités va bien au contraire les accentuer.

Et si cela ne suffisait pas, l'introduction d'une mission supplémentaire formulée en terme d'insertion professionnelle – et non d'avenir professionnel – va contribuer à réduire considérablement l'espace d'autonomie indispensable qu'est celui de l'université à l'égard du système productif. En effet, à vouloir juger l'université sur sa capacité non pas à intégrer des exigences professionnelles en terme de savoirs à construire et de nouvelles professionnalités à concevoir mais en terme de réponse immédiate à la sélectivité du marché du travail intégrant toute ses dimensions discriminatoires, il s'agit bien de conformer l'université aux demandes immédiates des entreprises. La pression de l'état des marchés du travail selon les territoires dans lesquelles sont censées être insérées les universités seront lourdement pénalisantes pour les unes, beaucoup moins pour les autres.

A l'inverse des réformes engagées depuis des années à l'encontre de l'université, et qui vont trouver à s'accélérer avec la LRU, ce n'est pas d'une mise en concurrence débridées dont les universités ont besoin mais bien au contraire d'autonomie scientifique et pédagogique dans le cadre d'une démocratisation nécessaire de l'accès aux savoirs et à leur constructions.

Or pour se faire, la logique de service public – à condition de lui conserver un sens - présente bien plus de garanties de cette autonomie qu'une régulation par le marché.

Autonomie pédagogique et scientifique pour tous dès lors que le cadrage des formations définit un référentiel commun à l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur selon la nature et le niveau des formations.

Autonomie pédagogique et scientifique possible pour tous dès lors que le montant moyen de crédit par étudiant pour des études de même nature est comparable (et non dans un rapport de 1 à 5 voire 10 selon les établissements)

Autonomie pédagogique et scientifique encore en vue d'atteindre des objectifs en terme de réussite pour tous et non seulement des meilleurs par une approche hyper sélective.

Autonomie pédagogique et scientifique, fondé sur un lien à la recherche fondamentale et appliquée, qui implique l'acquisition de savoirs fondamentaux disciplinaires tout au long des études universitaires, et un financement pérenne de la recherche qui ne peut se réduire aux contractualisations à relativement brève échéances.

Quitte à prendre le risque d'un discours politiquement incorrect, la priorité dans l'enseignement supérieur est bien plus celui d'œuvrer dans le sens de son unification plutôt que d'une accentuation de son éclatement, car c'est dans un tel cadre égalitaire que les espaces d'autonomie pour les étudiants et les personnels seront les plus larges. En clair, promouvoir une logique de service public versus régulation marchande. Obtenir l'abandon de la LRU serait un premier pas. Il en faudra de toute façon beaucoup d'autres.

François Castaing – Université Paris VIII

1 <#sdfootnote1anc> »Le nouvel esprit du Capitalisme », Boltanski Luc, Chiapello Eve, 1999 Gallimard

2 <#sdfootnote2anc>Peut-on encore parler de service public quand celui-ci est traversé par de telles mises en concurrence ?

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